Printemps, été, automne, hiver. Le tempo des 4 saisons anime notre vie comme la mesure d’une ritournelle familière. Celle-ci est un écho fidèle du ballet qui unit le Soleil et la Terre. Ainsi la bascule d’une saison à l’autre se fait toujours autour d’un événement solaire. Un solstice ou un équinoxe.
Cette manière de distinguer les saisons nous semble aller de soi. En Chine pourtant, alors que le pays est situé sous des latitudes semblables aux nôtres, on entrevoit dans le tissu de l’année cinq saisons et non quatre. On pourrait être tenté de croire que c’est là la conséquence de quelques spécificités météorologiques, mais il n’en n’est rien. Il y a une vraie parenté entre le climat européen et le climat chinois. Comment entendre, alors, que ce qui joue ici à quatre temps, vire à cinq là-bas ?
Un monde d’analogie
Dans la tradition chinoise, il y a un vrai goût pour la catégorisation. La pensée chinoise est une pensée de correspondance qui passe son temps à établir des liens entre le macrocosme et le microcosme. Entre la partie et le tout, on retrouve ainsi des dynamiques similaires.
Une des notions clés pour articuler cette connexion entre le local et le global est le système des cinq éléments : le Bois, Le Feu, La Terre, le Métal, l’Eau. À chacun d’eux est associé un ensemble de propriétés (le Bois s’élève et s’expanse, le Feu monte et chauffe, etc), et ils sont reliés par un ensemble d’interactions. Le Bois engendre le Feu, le Feu engendre la Terre, ou l’Eau contrôle le Feu, ou bien encore le Feu en excès épuise l’Eau, etc. Toutes ces relations reposent sur l’observation du monde. De là découle un système très puissant. Chaque phénomène peut être décrit dans ce jeu d’interdépendances, chaque chose ou situation étant rattachée à l’un des éléments. Dans cette logique, comme il y a cinq éléments, il semble cohérent de vouloir distinguer cinq saisons.
Cette 5ème saison ne serait-elle alors qu’une saison artificielle ? Une création pour se conformer au modèle des cinq éléments ?
Une saison du latent
Cette manière de comprendre les raisons de l’existence d’une 5ème saison est assurément biaisée. La pensée chinoise et la pensée occidentale s’élaborent à partir de points de vue différents, et cette 5ème saison en atteste.
La pensée occidentale est une pensée des états, de ce qui est. Tout y est clair, distinct, arrêté. C’est une pensée qui regarde de l’extérieur. Dans cette perspective, le calendrier occidental est strictement solaire et les changements de saison se font à date fixe, avec pour seul référentiel le soleil. Le 19 mars à 23h59 on est en hiver, et la minute d’après, c’est le printemps.
La pensée chinoise, elle, est une pensée de l’en-cours, de ce qui est en devenir. Tout y est entremêlé, superposé, en mouvement. C’est une pensée qui regarde de l’intérieur. Ainsi le calendrier chinois est soli-lunaire et, en fonction des années, le nombre de mois varie, tout comme les dates de début et de fin d’une saison. Le printemps, pour les Chinois, commence au cœur de notre hiver, en général entre fin janvier et mi-février. Il ne débute pas de manière abrupte du jour au lendemain, mais petit à petit alors que l’hiver est toujours un peu présent.
Pour les Occidentaux, le printemps n’est là que quand il est manifeste et que les bourgeons éclosent. Pour les Chinois, le printemps se lève dans le silence de l’hiver, quand la sève commence à remonter discrètement dans les branches.
Une saison pour la transition
Ainsi dans la tradition chinoise, il y a des périodes mélangées, entrelacées, dans les saisons. Ces moments-là, que l’on retrouve à l’articulation de chaque saison, constituent ce qu’on appelle la 5ème saison. La 5ème saison n’est pas juste une époque dans l’année, mais correspond à quatre périodes intermédiaires, quatre entre-saisons, qui façonnent le temps de la transition.
Dans le système des 5 éléments, la 5ème saison est associée à l’élément Terre, parfois représenté au centre de tous les autres éléments. Plus encore, la Terre a comme propriété de faire germer. Ainsi, par analogie, la 5ème saison révèle ce moment où la prochaine saison commence à germer.
En cela, elle est emblématique de la pensée chinoise qui s’intéresse, non pas aux états, mais aux transitions. La 5ème saison, c’est ce qui permet le changement. En Occident, on voit le noir et le blanc, en Chine on contemple l’infinité des tons gris qui mènent de l’un à l’autre…
PS : Comme souvent dans la tradition chinoise, plusieurs visions cohabitent. A plusieurs siècles d’écart de cette notion de « saison entre les saisons », on a rattaché la 5ème saison à une période particulière, située entre l’été et l’automne, caractérisée par de la chaleur-humidité. Ici, ce sont les climats qui servent de référentiel pour fixer sa place à cette saison singulière. Mais c’est là une autre histoire…