Verneuil, Huntington, Creutzfeld-Jakob, Crohn, Charcot, Hodgkin, Guillain-Barré. En occident, les soignants entrent dans la postérité en laissant leurs noms aux troubles qu’ils ont circonscrits. Devenir une maladie, c’est là sans doute l’Oscar de cette confrérie.
L’autre grande tendance pour nommer la pathologie est de la rattacher à l’entraille, au tissu ou à la substance concernée comme le lymphome, la péricardite, les coliques néphrétique, la kératite (kera en grec c’est la corne, qui renvoie à notre chère cornée)… Le principe est particulièrement simple et plus explicite parce qu’il cible plus ou moins le symptôme, le lieu de la douleur, le lieu de la lésion.
Ces deux systèmes parfois entremêlent les deux nomenclatures. L’on obtient alors des appellations assez fascinantes telles que la bartholinite, ou la névralgie d’Arnold, qui n’est pas l’apanage des Arnold mais aussi des Pierrette, des Hugo et des Océane.

Un murmure à l’orée du cœur
La créativité pour nommer un trouble est vaste car nommer rend compte d’une histoire, d’un récit à travers lequel transparaît une culture, une tradition, une vision de la maladie. Ainsi, à l’autre bout du monde, on raconte la maladie autrement.
Il existe en Chine, par exemple, un ensemble d’affections psychologiques désignées par le terme de « maladie du lys ». Ici le lys ne renvoie ni au médecin descripteur, ni directement à un organe. Le lys, Bǎi Hé, est l’un des ingrédients principaux utilisés pour traiter ce type de trouble. C’est un peu comme si ici on parlait de maladie du paracétamol ou de l’amoxicilline.
La pensée chinoise est une pensée de correspondance. Dis-moi à quoi tu ressembles, je te dirais à quoi tu sers. Le bulbe du lys, dans sa forme, évoque de manière assez manifeste les poumons. Il est, qui plus est, de couleur blanche et l’on sait de cette couleur qu’elle est liée à l’organe Poumon dans la théorie des 5 éléments… et au centre de ce blanc, protégé par les pétales, le pistil, comme un cœur palpitant et précieux. Bǎi Hé noue des liens dans l’intime, avec le poumon et le cœur, par ses ressemblances de formes.
Au cœur d'un réseau
Ainsi en pharmacopée chinoise, le bulbe de lys est de nature neutre, légèrement fraîche, et de saveur douce et légèrement amère. Il nourrit le Yin, humecte les Poumons, calme la toux, clarifie la chaleur du Cœur, calme l’esprit, les douleurs cardiaques, nourrit le Yin de l’Estomac et harmonise le foyer médian.
Dans le Jin Gui Yao Lue, œuvre majeure de la médecine chinoise écrite au IIème siècle après J.C., le professeur Zhang Zhong Jing lui consacre déjà tout un chapitre et donne 7 formules de pharmacopée pour traiter ces maladies, dont 6 qui utilisent Bǎi Hé, en grande proportion. Les étudiants de la FLETC ont bénéficié de cours détaillés sur ces formules lors d’un stage à l’Académie de Sciences Médicales de Pékin, en 2018.
Dans son étymologie, Bǎi Hé 百合 signifie littéralement les « 100 unions ». Dans le Jin Gui Yao Lue, il est dit que la centaine de vaisseaux dans le corps (formant un grand réseau, une grande réunion) ont une même source. Le Cœur régit le sang, le Poumon régit les « 100 vaisseaux », c’est-à-dire les vaisseaux sanguins et méridiens. Si un problème affecte cette source, les maladies se répandent partout dans le corps. Les signes cliniques de cette défaillance sont d’ailleurs des douleurs ou malaises un peu partout dans le corps.
Le spleen du Yin
La maladie du lys en tant que telle est principalement localisée au niveau du Cœur et du Poumon. Le syndrome principal correspond à un Vide de Yin de ces deux organes : le manque de rafraîchissement entraîne alors de la Chaleur. On retrouve des symptômes psychiques (insomnie, dépression, burn-out, hyperactivité) faisant suite à un choc émotionnel ou apparaissant après une grosse fièvre qui a épuisé les liquides organiques du corps ; l’esprit n’est plus ancré, la capacité de jugement est altérée.
La maladie s’accompagne de troubles émotionnels, d’instabilité psychique (la personne subit des changements d’humeur), ou physique (elle ne peut rester debout, assise, ou allongée). Un autre paramètre d’aggravation des symptômes peut être lié à la température extérieure, avec une sensation de crainte du froid immédiatement associée à une sensation de crainte de la chaleur. Des troubles du comportement alimentaire peuvent apparaître, comme une envie de manger suivie d’un dégoût subit de la nourriture, ainsi que des malaises physiques, un goût amer dans la bouche, de la soif, des problèmes urinaires fréquents avec urines foncées, un pouls rapide.
La maladie du lys atteste combien l’art de circonscrire un trouble en Médecine Traditionnelle Chinoise est spécifique, la séparation du corps et de l’esprit si prégnante en occident n’a plus lieu d’être.